L’insuffisance rénale aiguë est défi nie par une diminution rapide (quelques heures à 1-2 semaines) de la fonction rénale, constituant un déséquilibre hydroélectrolytique et acidobasique brutal.
On distingue classiquement 3 grands groupes d’insuffisance rénale aiguë (IRA), selon le mécanisme impliqué dans l’atteinte :
– IRA fonctionnelle ou prérénale ;
– IRA rénale (ou organique) ;
– IRA obstructive ou post-rénale.
Les symptômes propres à l’insuffisance rénale sont peu spécifiques (nausée, asthénie, etc.), et c’est souvent la maladie causale qui fait réaliser un bilan biologique.
Le diagnostic d’IRA est porté sur la biologie standard devant une élévation de la créatinine.
Le degré d’insuffisance rénale s’évalue alors en fonction du sexe, de l’âge et du poids (formule de Cockroft : Cl = (140 – âge) × poids (kg) × K/ créatinine(μmol/L) avec K = 1,04 chez la femme et 1,23 chez l’homme). Parfois, le caractère aigu est difficile à affirmer devant un patient asymptomatique et sans données antérieures de la créatininémie. La présence de rein de taille normale (en l’absence de diabète, d’amylose ou de myélome multiple) sur une donnée iconographique (ASP/échographie) est alors nécessaire (ASP : abdomen sans préparation).
La prise en charge d’une IRA nécessite de rechercher d’abord une étiologie prérénale (IRA fonctionnelle) ou post-rénale (obstacle) avant de dérouler les étiologies « organiques », et d’entreprendre dans le même temps la correction rapide des désordres hydroélectrolytiques menaçant.
Le plus souvent l’atteinte est réversible si on s’attache à en traiter la cause.
IRA FONCTIONNELLE :
C’est la cause la plus fréquente d’atteinte aiguë de la fonction rénale chez un patient ambulatoire.
D’un point de vue physiopathologique, c’est une diminution de la filtration glomérulaire par hypotension artérielle systémique importante et/ou vasoconstriction des artérioles glomérulaires afférentes (baisse du débit sanguin rénal).
Elle est réversible lors du rétablissement de l’hémodynamique.
Cliniquement, il existe une oligo-anurie (diurèse < 20 mL/h ou < 500 mL/j).
Le contexte peut-être évocateur : hypotension artérielle (hypovolémie, défaillance cardiaque, sepsis sévère), pertes hydrosodée digestives, syndrome hépatorénal (cirrhose hépatique décompensée), iatrogènie (AINS [anti-inflammatoire non stéroïdien] ou IEC [inhibiteur de l’enzyme de conversion] chez un malade déshydraté ou ayant une sténose bilatérale des artères rénales).
La biologie est souvent évocatrice ; elle est décrite dans le tableau I.
Le traitement est celui de la cause de l’hypovolémie efficace (remplissage vasculaire, traitement d’un éventuel état de choc, traitements spécifiques cardiaques), associé aux corrections métaboliques nécessaires.
L’évolution de l’atteinte rénale est de bon pronostic si la prise en charge a été précoce et l’étiologie curable (il existe peu de traitement efficace pour le syndrome hépatorénal, qui reste de mauvais pronostic).
IRA OBSTRUCTIVE OU POSTRÉNALE :
D’un point de vue physiopathologique, c’est l’obstruction des voies excrétrices sur un obstacle intrinsèque ou extrinsèque. Il peut s’agir d’une obstruction bilatérale des deux uretères (fibrose rétro-péritonéale ou tumeur pelvienne), unilatérale (un seul rein fonctionnel : lithiase +++) ou sur globe vésical. La levée de l’obstacle permet de récupérer la fonction rénale.
Quel que soit le mécanisme de l’IRA, le risque immédiat est lié aux conséquences biologiques en rapport avec la perte d’homéostasie : hyperkaliémie (acidose et hypercatabolisme), hyponatrémie (dilution), hypocalcémie (le plus souvent retardée), acidose métabolique (défaut d’élimination du H+ et de réabsorption du HCO3-), rétention azotée (urée, créatinine, acide urique).
Cliniquement, on retient une anurie totale (< 5 mL/h), un début brutal dans un contexte douloureux (néoplasie, colique néphrétique, rétention aiguë d’urine, etc.).
Le diagnostic repose sur l’imagerie systématique devant une IRA : l’ASP (images de calculs rarement perçues) et surtout l’échographie (dilatation des cavités pyélocalicielles, lithiases, fibrose, tumeur).
Le traitement urgent repose sur le drainage des urines (néphrostomie percutanée, sonde double J ou sondage urinaire), avec compensation de la polyurie en résultant. Le recours à une épuration extrarénale est rare sauf en cas de menace biologique non contrôlable.
IRA RÉNALE OU ORGANIQUE :
L’atteinte lésionnelle intéresse le rein lui-même.
La biologie de l’IRA organique est décrite dans le tableau I.
Nécrose tubulaire aiguë :
C’est la principale cause des IRA organiques.
D’un point de vue physiopathologique, il s’agit d’une toxicité rénale aiguë ou secondaire à une IRA fonctionnelle prolongée, avec vasoconstriction persistante des artérioles efférentes glomérulaires entraînant une nécrose des cellules tubulaires.
Le contexte extrarénal est souvent riche : état de choc, rhabdomyolyse (traumatisme musculaire, ischémie artérielle prolongée, virose, exercice physique intense), hémolyse aiguë [ictère, hyperbilirubinémie, anémie, hémoglobinurie (accès pernicieux palustre +++)], intoxication [paraquat (désherbant), trichloréthylène, méthanol, éthylène-glycol, arsenic, mercure] ou iatrogénie (aminosides, AINS, IEC, chimiothérapies, produits de contraste iodés).
Le traitement repose sur la correction rapide de l’état de choc et sur la compensation des pertes hydrosodées, associée en cas d’oligo-anurie persistante au furosémide à forte dose (> 500 mg/j). L’adjonction de dopamine à faible dose (3 ìg/kg/mn) peut se discuter.
L’épuration extrarénale est indiquées en cas d’hyperkaliémie > 6,5 mmol/L (ou signes ECG), d’acidose majeure (pH < 7,20), d’urémie > 50 mmol/L et/ou de créatininémie > 700 ìmol/L.
L’évolution se fait vers l’aggravation progressive avec des désordres métaboliques souvent importants (hyperkaliémie parfois critique, aggravée par l’acidose et hyponatrémie qui expose à un risque convulsif).
La régression intervient après contrôle de la cause, avec reprise d’une diurèse après une à 4 semaines.
L’issue est souvent fatale (environ 60 % des cas), liée essentiellement à la cause initiale. Il existe un risque d’insuffisance rénale définitive en cas de nécrose corticale associée (en absence de reprise de diurèse après 6 semaines, la biopsie rénale confirme le diagnostic).
Les formes à diurèse conservée s’observent plus volontiers dans les IRA iatrogènes ou lors de chocs rapidement corrigés : les signes biologiques sont souvent atténués et plus faciles à corriger, la dialyse rarement nécessaire.
Glomérulopathie aiguë :
D’un point de vue physiopathologique, elle entraîne une baisse du débit et de la surface de filtration glomérulaire et un trouble de la perméabilité glomérulaire (protéinurie, hématurie).
Les symptômes préexistent souvent en fonction de l’étiologie. La protéinurie est constante, la tension artérielle souvent élevée.
La classification de ces glomérulonéphrites rapidement progressives est basée sur l’histologie rénale, la nature des auto-anticorps circulants et des manifestations systémiques associées (glomérulonéphrite extracapillaire et anticorps anti-membrane basale glomérulaire du Goodpasture, et anticorps anticytoplasme des polynucléaires du Wegener, etc.).
La classique glomérulonéphrite aiguë endocapillaire post-streptocoques réalise le plus souvent un syndrome néphritique aigu (oedèmes, HTA, protéinurie, hématurie, etc.).
Le traitement repose sur l’étiologie et les données de la biopsie rénale.
L’évolution en est variable.
Néphropathie interstitielle aiguë :
D’un point de vue physiopathologique, c’est l’infiltration du tissu interstitiel, par des polynucléaires, des cellules tumorales ou des médiateurs inflammatoires en cas d’allergie.
L’infiltration interstitielle peut être en rapport avec une atteinte infectieuse (pyélonéphrite aiguë, légionellose, septicémie à BGN [Bacille Gram négatif] ou à staphylocoque doré, leptospirose, etc.), de mécanisme immuno-allergique (bêtalactamines, sulfamides, AINS, allopurinol, etc.) ou métabolique (hypercalcémie, hyperuricémie) ou survenir dans le cadre d’une maladie plus générale ( sarcoïdose, Gougerotcsjrogren, lymphome ou hémopathie maligne).
Cliniquement, la diurèse est souvent conservée.
Le traitement est celui de la cause.
L’évolution est habituellement la guérison. Une insuffisance rénale terminale est rare.
Néphropathie vasculaire :
Elle est rare.
D’un point de vue physiopathologique, elle répond à une occlusion brutale des artères rénales ou de leurs branches, qui survient sur un terrain vasculaire et athéromateux ou lors de manoeuvres endovasculaires (maladie des embols de cholestérol).
Cliniquement, le début est brutal, avec douleurs abdominales ou lombaires. On retrouve souvent une hématurie et HTA aiguë.
Le diagnostic positif d’occlusion des artères rénales est réalisé à l’aide d’un angioscanner ou à l’artériographie. La maladie des embols de cholestérol est évoquée devant un livedo des lombes et des membres inférieurs, des orteils pourpres et/ou une nécrose de leur pulpe. Le fond d’oeil (FO) peut retrouver des embols de cholestérol.
Chez l’enfant, les microangiopathies thrombotiques ( syndrome hémolytique et urémique [SHU] et le purpura thrombotique thrombocytopénique [PTT]) sont plus fréquentes. Il s’associe une IRA oligo-anurique d’installation rapide, une anémie hémolytique avec schizocytose, une thrombopénie et souvent une HTA. Les signes neurologiques et la fi èvre sont fréquents dans le PTT.
L’étiologie du SHU est souvent une gastroentérite à E. coli de sérotype 0157 : H7 secrétant une vérotoxine (VTEC), mais une microangiopathie thrombotique peut se rencontrer dans la néphroangiosclérose maligne, la toxémie gravidique, une shigellose (shigatoxine) ou l’infection VIH, le traitement oestroprogestatifs, les immunosupresseurs (tacrolimus, cyclosporine), la ticlopidine ou certaines chimiothérapie (mitomycine), ainsi que dans le syndrome antiphospholipides.
Le traitement repose sur les échanges plasmatiques avec transfusion de plasma frais.
Le pronostic est souvent médiocre.
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