L’objectif de ce chapitre est d’apporter au clinicien des informations permettant de mieux comprendre les principes de la vaccination et de savoir résoudre différents problèmes pratiques qui peuvent être rencontrés chez une personne venant se faire vacciner. Le calendrier vaccinal, régulièrement mis à jour par les autorités de santé, est aisément accessible à tous et ne sera donc pas détaillé ici.
MODE D’ACTION :
La vaccination imite les infections qui naturellement génèrent une immunité protectrice : l’introduction d’un antigène induit chez un hôte une réaction spécifique aboutissant à la mise en place d’une part de mécanismes effecteurs spécifiques pour la protection contre l’infection, et d’autre part d’une mémoire immunitaire.
La seule induction d’un anticorps n’est cependant pas synonyme d’efficacité quand l’antigène mobilisant les effecteurs de la réaction immunitaire n’est pas vital pour le micro-organisme. On le constate par exemple au cours de la plupart des infections chroniques (sida, syphilis, etc.) qui continuent à évoluer malgré l’apparition de multiples anticorps. Pour ces infections persistantes ou n’induisant pas d’immunité protectrice, la conception d’un vaccin représente encore aujourd’hui un réel défi , imposant d’imaginer des mécanismes immunitaires de défense qui n’existent pas naturellement chez l’homme.
Le choix de la voie d’administration du vaccin (orale, sous-cutanée, intramusculaire ou intradermique) est important car il dirige la qualité de la réponse obtenue. Ainsi, l’administration muqueuse induit la production d’anticorps sécrétoires (IgA), utiles pour bloquer les infections se faisant par voie muqueuse. Cette réponse s’accompagne également d’une production d’anticorps de nature IgM et IgG sériques. Le vaccin oral antipoliomyélitique en est un exemple.
L’administration intramusculaire ou souscutanée du vaccin induit surtout l’apparition d’anticorps sériques IgM et IgG. Enfin, l’administration intradermique du vaccin aboutira à une réponse cellulaire de type hypersensibilité retardée, comme c’est le cas avec le BCG.
Il existe différents types de vaccins, que l’on peut classer en fonction de leur nature bactérienne ou virale, et vivante ou inactivée (Tableau I). Les vaccins vivants essaiment à partir du site d’inoculation et se multiplient dans l’organisme, la réponse immune se faisant en de multiples endroits. Ils induisent habituellement une immunité cellulaire et humorale de bonne qualité, durable, proche de celle naturellement acquise. Les vaccins inactivés, agents microbiens complets ou sous-unités provoquent une réponse immunitaire qui se fait soit à distance du site d’injection, au niveau de la rate en particulier s’il s’agit d’antigènes solubles, soit au site même de l’injection s’il s’agit d’antigènes particulaires, dans les ganglions qui drainent la région où a été injecté le vaccin. L’immunogénicité des vaccins inactivés est plus faible que celle des vaccins vivants, imposant la répétition des injections (Encadré 1). Une primovaccination faite de 2 à 3 injections à un mois d’intervalle est nécessaire afin d’induire la réponse primaire. Des rappels permettent d’obtenir une réponse de type secondaire assurant une bonne protection vaccinale et une mémoire prolongée. L’adjonction d’un adjuvant, l’hydroxyde d’aluminium le plus souvent, renforce le pouvoir immunogène en majorant l’afflux de cellules inflammatoires et la sécrétion de cytokines sur le site d’injection. De plus, l’adjuvant retarde l’élimination de l’antigène qui reste ainsi plus longtemps au contact des cellules présentatrices de l’antigène et des lymphocytes responsables de la réponse immune spécifique.
Encadré 1. Espacement des doses
Lorsqu’un retard est intervenu dans la réalisation du calendrier de vaccinations indiqué, il n’est pas nécessaire de recommencer tout le programme des vaccinations imposant des injections répétées. Il suffi t de reprendre ce programme au stade où il a été interrompu et de compléter la vaccination en réalisant le nombre d’injections requis en fonction de l’âge.
À l’inverse, on considère comme non valide une injection faite 5 jours ou plus avant la date prévue.
La réponse au vaccin est variable d’un individu à l’autre et même les vaccins les plus efficaces ne seront pas immunogènes chez tous. Le terrain génétique peut faire que certains individus reconnaîtront mal un antigène vaccinal, et seront donc de mauvais répondeurs à ce vaccin.
L’âge est également à prendre en compte. Par exemple, l’enfant de moins de 2 ans répondra mal à un vaccin sous-unité polysaccharidique et les adultes voient la vigueur de leur réponse immune fléchir à partir de 40 ans. Les femmes en période d’activité génitale, à âge égal, auraient une réponse immune plus forte que celle des hommes. Enfin, une immunosuppression diminuera l’aptitude à répondre correctement à la vaccination (cancer, insuffisance rénale chronique, sida, alcoolisme, et de nombreux autres états pathologiques).
EFFICACITÉ :
L’efficacité d’un vaccin, c’est-à-dire son aptitude à réduire significativement l’incidence de la maladie infectieuse chez les sujets vaccinés comparativement à des sujets n’ayant pas reçu le vaccin, ne peut se mesurer qu’avec des techniques épidémiologiques. Il faut donc effectuer sur le terrain des études cliniques randomisées, en période épidémique, afin de déterminer le pourcentage de réduction du taux d’attaque (défini comme la proportion de la population ayant été infectée à la fin d’une épidémie) chez les vaccinés par rapport aux non vaccinés.
Par extrapolation à partir des résultats sérologiques recueillis pendant les études d’efficacité vaccinale sur le terrain, le titre d’anticorps sériques peut prédire l’efficacité vaccinale, mais il ne s’agit alors que d’une mesure indirecte d’efficacité.
La prévalence d’une maladie infectieuse, tout comme sa gravité ou son poids économique sont des paramètres indispensables pour apprécier l’efficacité d’un vaccin. Ainsi, un vaccin protégeant à 100 % contre une maladie rare, peu grave ou peu coûteuse, aura peut-être moins d’intérêt qu’un vaccin assurant une protection de 40 % contre une maladie très répandue, grave ou coûteuse.
Rappelons que le vaccin offre une protection non seulement individuelle (directe), mais aussi grégaire (indirecte). Ainsi, chez les non vaccinés, le nombre de contacts avec des infectieux est atténué dans une population partiellement vaccinée, réduisant d’autant le risque d’infection.
INDICATIONS :
Le calendrier vaccinal est élaboré en tenant compte de plusieurs paramètres :
– l’âge : certaines infections sont plus graves chez le très jeune enfant (coqueluche par exemple) ou chez les personnes âgées (grippe par exemple) ;
– le sexe : la rubéole par exemple est particulièrement grave pendant une grossesse ;
– les considérations économiques : c’est un des arguments pour envisager la généralisation du vaccin contre la varicelle ;
– les données épidémiologiques les plus récentes : par exemple, un risque d’épidémie de rougeole chez les adolescents résultant d’une couverture vaccinale insuffisante nécessite aujourd’hui en France une vaccination de rattrapage chez les enfants âgés de trois à six ans ;
– les risques individuels augmentant la fréquence ou la gravité de l’infection : profession, voyage, comportement sexuel, ou état pathologique particulier.
Il existe en France des obligations vaccinales pour certaines catégories de la population : enfants (diphtérie, tétanos, poliomyélite, BCG), personnel des armées (méningocoque A + C, rubéole chez les femmes), professionnels de santé (tétanos, poliomyélite, BCG, hépatite B, et typhoïde pour les personnels de laboratoire).
La plupart des vaccins ne sont cependant plus légalement « obligatoires » mais « recommandés », respectant ainsi la liberté de chacun en matière de santé.
CONTRE-INDICATIONS :
Elles sont rares. Il faut interroger et examiner toute personne à qui l’on va administrer un vaccin, à la recherche d’une contre-indication temporaire ou définitive à la vaccination (Encadré 2). Ces constatations doivent être consignées dans le carnet de santé. En France, les références actualisées de contre-indications vaccinales sont celles qui figurent dans le résumé des caractéristiques du produit et sur le calendrier vaccinal.
Certaines situations ou pathologies contre-indiquent la vaccination :
– maladies aiguës évolutives : il est préférable d’ajourner la vaccination et d’attendre la guérison ;
– maladies malignes évolutives : contre-indication des vaccins vivants, à l’exception du BCG ;
– déficits immunitaires congénitaux ou acquis, y compris les traitements immuno-dépresseurs : contre-indication des vaccins vivants, y compris le BCG en cas de défi cit de l’immunité cellulaire ;
– maladies allergiques : seules les réactions anaphylactiques à un vaccin lors d’une injection antérieure contre-indiquent les injections suivantes de ce même vaccin ;
– affections neurologiques évolutives : la vaccination coquelucheuse est contre-indiquée (les antécédents de convulsions non liées à une vaccination ne sont pas une contre-indication aux vaccinations) ;
– grossesse : les vaccins viraux vivants constituent une contre-indication. Toutefois, une vaccination faite au cours d’une grossesse méconnue ne justifie pas de conseiller une interruption de grossesse ;
– infection par le VIH : les vaccins viraux vivants sont contre-indiqués, le BCG peut être administré chez les sujets asymptomatiques ayant encore un bon niveau d’immunité. Les vaccins inactivés peuvent être administrés selon les indications du calendrier vaccinal, sans qu’il soit nécessaire d’en faire plus (il n’est pas recommandé par exemple de vacciner plus particulièrement ces sujets contre la grippe, le pneumocoque et l’Haemophilus infl uenzae b).
Encadré 2. Six questions avant de vacciner
Comment allez-vous aujourd’hui ?
Avez-vous des allergies aux aliments ou aux médicaments ?
Avez-vous bien toléré les vaccinations passées ?
Avez-vous une maladie de votre système immunitaire ?
Êtes-vous enceinte, ou essayez-vous de l’être ?
Avez-vous reçu un quelconque produit sanguin depuis un an (une transfusion, des immunoglobulines) ?
EFFETS INDÉSIRABLES :
Outre l’efficacité, l’exigence de sécurité est capitale pour le développement d’un vaccin, et pour garder la confiance des médecins et de la population.
Aucune vaccination ne peut être considérée comme sûre à 100 %, même si toutes s’en approchent largement. Les accidents possibles sont de deux ordres.
Réactions bénignes, fréquentes, et attendues :
Ce sont les suivantes :
– fièvre ou sensation de malaise ;
– nodule douloureux au site d’injection (surtout après vaccin adsorbé sur gel d’aluminium) ;
– signes d’infection bénigne par la souche virale vaccinale (exanthème fébrile après le ROR par exemple).
Effets indésirables graves et inattendus :
Les réactions allergiques graves, de type anaphylactique, sont théoriquement possibles avec tous les vaccins.
Des manifestations post-vaccinales rares mais très variées sont rapportées : neuropathies centrales et périphériques, manifestations cutanées, arthropathies inflammatoires, atteintes oculaires, maladies systémiques et auto-immunes variées… La majorité de ces accidents ne sont manifestement que des associations fortuites, et non causales, avec le vaccin. Elles doivent toutefois être prises en considération avant de décider la réadministration du vaccin.
Enfin, des accidents résultant de mauvaise pratique d’administration du vaccin sont possibles : administration d’un vaccin vivant atténué à une personne immunodéprimée, ou infection consécutive au non-respect des règles d’asepsie lors de l’injection d’un vaccin.
La déclaration auprès d’un centre de pharmacovigilance de tous les effets indésirables graves et inattendus est le seul moyen de pouvoir apprécier de manière actualisée l’importance que peuvent revêtir les accidents des vaccins, en comparaison aux bénéfices attendus.
ASSOCIATIONS :
Les associations vaccinales ne doivent pas être confondues avec les combinaisons vaccinales, qui consistent à incorporer dans la même seringue plusieurs valences vaccinales (par exemple diphtérie, tétanos et poliomyélite). On parle d’association vaccinale quand on administre simultanément plus d’un vaccin en des sites différents. Ces associations sont par exemple très utiles lors des consultations de préparation au voyage. Quand il s’agit de vaccins inactivés, aucune association n’est contre-indiquée, que ce soit avec un autre vaccin inactivé ou avec un vaccin vivant. L’association de deux vaccins vivants, éventualité rare, n’est pas recommandée en raisons d’altération potentielle de leur efficacité. Un délai de quatre semaines est ainsi recommandé entre l’administration de deux vaccins vivants.
Par analogie avec les associations vaccinales, mentionnons ici que l’administration préalable d’immunoglobulines expose à un risque d’échec des vaccins à virus vivant comme ceux contre la varicelle, la rubéole, les oreillons et la rougeole.
Il est donc contre-indiqué de vacciner un patient ayant reçu des immunoglobulines moins de 6 semaines (si possible 12 semaines) après leur administration.
TECHNIQUE D’INJECTION :
La voie d’administration du vaccin est mentionnée dans le résumé des caractéristiques du produit.
Son non-respect expose à une diminution d’efficacité du vaccin et/ou à une majoration des réactions locales. Schématiquement, les vaccins vivants sont administrés par voie sous-cutanée ou intramusculaire, alors qu’il est recommandé d’administrer les vaccins inactivés adjuvés par voie intramusculaire en évitant la voie sous-cutanée pour ces derniers.
Pour les patients présentant des troubles de l’hémostase, la vois sous-cutanée sera privilégiée, et on choisira un site d’injection en regard d’un relief osseux permettant une compression efficace après la vaccination. La compression doit durer au moins deux minutes, cinq si possible.
SUJETS ALLERGIQUES :
Chez les sujets ayant des allergies multiples, mais pas d’allergie connue aux vaccins, il n’y a pas de contre-indication de principe à vacciner.
Il faut vérifier avec le patient quelles sont les substances responsables des allergies, et s’assurer qu’il ne s’agit pas d’une substance utilisée pour la fabrication du vaccin. En effet, outre les antigènes vaccinaux, des substances telles que protéine de l’oeuf, gélatine, néomycine, thiomersal, ou latex sont retrouvées dans la composition des vaccins. Aucun vaccin ne contient de la pénicilline ou ses dérivés. L’interrogatoire doit aussi confirmer la réalité clinique de l’allergie qui doit être avérée (urticaire généralisé, asthme, oedème du visage et de la bouche, gêne respiratoire, hypotension, choc) pour constituer une contre-indication. En l’absence d’allergie avérée aux composants du vaccin, et en l’absence d’intolérance au décours d’éventuelles vaccinations passées, les vaccins seront administrés sans restriction particulière. Il n’est toutefois pas recommandé de vacciner pendant une poussée de la maladie allergique (asthme ou urticaire par exemple).
De façon générale, il est prudent de demander aux sujets vaccinés de rester sur place afin de déceler une réaction anaphylactique pendant une période d’au moins quinze minutes après l’injection ou pendant plus longtemps s’il y a une possibilité d’hypersensibilité. Il est également recommandé que le médecin soit correctement équipé pour pouvoir faire face à une réaction anaphylactique (adrénaline, corticoïdes, antihistaminique, seringues, aiguilles, tourniquet…).